Vendredi dernier, l’enseigne Monoprix a lancé une toute nouvelle campagne d’affichage pour le moins ironique à l’égard des récentes restrictions sanitaires édictées par le gouvernement, notamment à l’adresse des grandes surfaces.
Pas d’images, juste de courts textes d’accroche annonçant la réouverture des rayons « non essentiels ». Un copywriting qui dénote avec les messages publicitaires humoristiques que la marque avait l’habitude d’apposer sur ses paquets de pâtes ou ses conserves.
Stratégie subtile ou pétage de plombs ?
Monoprix, enseigne championne du copywriting humoristique
Un ton humoristique adopté depuis 10 ans
Si vous avez acheté au moins une fois des produits chez Monoprix, vous avez peut-être remarqué que l’enseigne ajoute des messages publicitaires sur les emballages des produits issus de sa propre fabrication. Personnellement, j’ai pouffé de rire à maintes reprises au rayon yaourt, boîtes de conserve ou produits ménagers.
Les jeux de mots sont parfois lourds, poussifs, voire carrément ratés, mais la plupart du temps c’est assez drôle de mon point de vue. De quoi égayer un peu nos courses si l’on prend la peine de s’arrêter sur ces petits messages. Je ne connais pas d’autre enseigne qui pratique un tel copywriting directement sur ses produits.
Quel intérêt à tout cela ?
On pourrait se dire que cet humour publicitaire est une petite touche bien inutile, tout juste là pour faire du remplissage rédactionnel d’emballages au design simple et épuré. En réalité les enjeux sont bien plus élevés.
Si Monoprix fait appel à l’agence de publicité Rosapark depuis 2010 pour réaliser ces petites notes humoristiques et y consacre un budget certainement non négligeable, ce n’est pas pour simplement faire dans le superflu.
Une stratégie bien ficelée
On peut se dire que Monoprix cherche à se distinguer des enseignes concurrentes en proposant à ses clients une expérience de consommation différente, décalée et si possible mémorable. En suscitant une émotion positive, le rire, l’enseigne aspire certainement à créer un lien de dépendance affective auprès de sa clientèle. Et c’est assez efficace.
Pour ma part, je suis très client de ces vannes même douteuses, je me demande jusqu’où peut aller la créativité des concepteurs-rédacteurs qui ont planché sur ces accroches. Alors je m’amuse plus à fouiner dans les rayons de cette enseigne plutôt que dans ceux d’une autre, c’est peut-être mon métier qui veut cela, je vous l’accorde.
Mais derrière cette impulsion comique, il y a une réalité économique.
L’enseigne cherche sans doute à attirer l’attention du consommateur sur les produits Monoprix et les distinguer des autres marques présentes dans ses rayons. Je ne suis pas un spécialiste des circuits de la grande distribution, mais j’imagine sans peine qu’il est plus profitable pour l’enseigne d’écouler les produits issus de sa propre chaîne de fabrication que ceux des grandes marques, à qui elle doit reverser une part importante du prix de vente.
Mais pour cette nouvelle campagne, un nouveau copywriting a été mis en place par l’enseigne. Il ne s’agit plus de lorgner les emballages, mais de lever un peu la tête.
Une campagne « choc » dans un contexte de crise sanitaire et économique
Changement de ton
Le reconfinement a induit une certaine polémique autour des produits jugés non essentiels par le gouvernement, ce qui a créé de vives tensions au sein de la petite et grande distribution, certains commerces accusant leurs concurrents directs ou indirects, de profiter de leur positionnement pour vendre des produits « non essentiels » tandis qu’eux devaient fermer boutique.
Dans cette nouvelle campagne, Monoprix a clairement décidé de frapper un grand coup en décidant de porter ses messages humoristiques non plus sur les emballages de ses produits, mais sur de grandes affiches séparant ses rayons.
Outre le changement de format, on notera que le ton a changé. Ce ne sont plus là de petits jeux de mots qui respirent la légèreté, mais des slogans cette fois moqueurs et pratiquement revendicatifs. Monoprix a en effet fait appel à une nouvelle agence de publicité, DDBParis, pour lancer cette campagne, remplaçant son partenaire publicitaire historique, l’agence Rosapark.
Difficile d’évaluer la marge de liberté accordée par Monoprix à cette nouvelle collaboration. On peut cependant imaginer que si l’enseigne souhaite conserver une légèreté de ton, elle a tout de même engagé une nouvelle agence pour lancer cette campagne, traduisant sa volonté de rupture dans sa communication.
Se nicher dans le cœur des Français
Clairement, Monoprix se montre très habile dans sa quête de proximité avec sa clientèle. En choisissant de rebondir sur les incompréhensions que tout un chacun en France a pu ressentir à son échelle, elle se range du côté de la masse populaire, qui se trouve être son client cible.
Outre le fait d’attirer l’attention de sa clientèle sur la réouverture des rayons de produits « non essentiels » durant le reconfinement, la campagne a également permis d’attirer sur elle l’attention de la presse. L’agence publicitaire a accompli sa mission de ce côté-là.
Ensuite on peut se poser la question de la proximité de ces accroches avec la sphère de la revendication quasi politique, chose que Monoprix n’avait pas faite jusqu’ici. Cette nouvelle orientation — si tant est qu’elle se poursuive sur les prochaines campagnes – prend le risque de diviser, certains allant la qualifier « d’anarchiste ».
Auprès de BFM Business, le porte-parole de Monoprix s’est défendu de vouloir ridiculiser les mesures gouvernementales et a assuré que « Ce ton et cet humour ont toujours fait partie de l’ADN de Monoprix ».
Une autre campagne intitulée « Retrouver la ville » est en cours de lancement cette fois dans la rue. Et il y a fort à parier que cette nouvelle collaboration avec l’agence de pub DDBParis soit en fait une prémisse à un projet plus vaste intitulé « Monoprix Plus, l’expérience qui révolutionne l’e-commerce alimentaire français ».
Derrière quelques mots, une vraie stratégie disruptive est en marche.
A suivre?
En jouant sur la corde sensible de cette actualité brûlante qui nous relie toutes et tous, Monoprix via son agence de publicité a parfaitement rempli son contrat : communiquer sur la réouverture des rayons « non essentiels » et faire parler de la marque.
L’enseigne a fait le pari de titiller l’opinion publique et se faire le porte-voix d’un sentiment de frustration largement ressenti dans le secteur du commerce et au sein de la population française. Ce risque de se positionner comme une marque engagée, donc potentiellement clivante, ne devrait pas générer un quelconque boycott. Il sera en revanche intéressant de voir lors de ses prochaines campagnes si elle a réellement franchi un cap ou s’il s’agissait juste d’un sursaut d’humeur.